L’industrie culturelle du système supprime l’originalité ; à la fois la créativité individuelle, ou le génie, et la créativité collective, ou le scenius[1]… Elle le fait parce que génie et scenius viennent de l’extérieur du système, et ne peuvent donc être contrôlés, catégorisés ou conditionnés par lui … La suppression du génie et du scenius se produit par l’activité automatique, inconsciente du marché, qui empêche les gens d’accéder à leur propre société, et de l’ego, qui empêche les gens d’accéder à leur propre conscience.
« Innovant » et « nouveau » sont deux des mots les plus utilisés dans le lexique capitaliste, mais, comme pour « croissance », « liberté », « démocratique » et « médiatique », l’innovation ne compte vraiment que si elle sert les affaires. Le capital cherche de nouvelles réponses à une question et une seule : comment accumuler plus de capital. De nouvelles façons d’extraire plus de travail de la main-d’œuvre, de nouvelles technologies pour augmenter la production, de nouvelles façons d’inciter les gens à acheter davantage, de nouvelles techniques pour générer des profits, de nouveaux produits, de nouveaux marchés et de nouvelles campagnes de marketing représentent tous les besoins du capital et donc la direction acceptable de l’innovation.
La nature des limites de l’innovation capitaliste est révélée dans la contradiction qui existe entre « innovation » et « risque ». Dans la littérature capitaliste, le mot « risque » fait toujours référence à la minimisation du risque aux niveaux les plus bas possible, ce qui permet de « maximiser le retour sur investissement ». Tout ce qui ne peut être prédit ou contrôlé — le choix autonome, l’inspiration créative et tous les processus naturels et sociaux spontanés — représente une énorme menace pour le système et doit être, à tout prix, limité ou contrôlé. On y parvient soit par la contrainte directe — c’est pourquoi les capitalistes cherchent toujours à contrôler les gouvernements, qui peuvent indemniser les risques et contrôler ceux qui agacent le capital en ne payant pas leurs loyers ou en ne se présentant pas au travail — soit par l’influence indirecte — en remodelant l’environnement[2] pour canaliser la conscience vers ses priorités, en forçant l’activité à suivre des sentiers canalisés, contrôlables et prévisibles. Le choix authentiquement libre, l’inspiration, la vie elle-même doivent être induits, ce n’est que dans ces conditions que les capitalistes sont prêts à « prendre des risques » sur un marché « libre ».
Anéantir la menace de l’incertitude mène à la prolifération sans fin d’une zone morte périphérique omni-identique que nous appelons LA PETITE VILLE (et, surtout, LA BANLIEUE), au désert de monoculture agricole, dénué de vie, que nous appelons LA CAMPAGNE, et à l’uniformité prévisible de tous les diplômés, professionnels, emplois, écoles, films, livres, chansons et articles de journaux ; en bref, à la mort de la nature (voir mythe 10) et à la mort de la culture. Seul un tel MONOMONDE (alias L’INTERZONE), dont toutes les composantes sont compréhensibles, prévisibles, contrôlables et interchangeables, est acceptable pour le système. L’expansion d’un tel monde est considérée comme « innovante » ou « nouvelle », tandis que sa réduction — si originale, utile, vivante ou belle soit-elle — est automatiquement rejetée.
Le rejet de l’originalité, de la vérité, de la créativité, etc. n’est pas une activité personnelle, explicite et ciblée, mais une production du système. L’originalité collective (alias le SCENIUS) est automatiquement étouffée par le manque de temps, l’absence de convivialité, la numérisation de l’expérience et d’autres conséquences de l’expansion du capital dans le domaine culturel, ce qui oblige les artistes à dépendre des mécanismes du système pour réaliser leurs œuvres. Le marché, à son tour, juge l’art en fonction de son adéquation au système, et déploie toute son énergie pour s’assurer du succès des titres compatibles avec le système. Cette prime au succès commercial signifie qu’on ne peut produire un art qui contrarierait une classe, une strate, une section géographique ou religieuse du lectorat potentiel. Le meurtre et le désordre sont acceptables, tout comme un soupçon de controverse, mais par exemple la suggestion sérieuse que la religion, le scientisme, le féminisme, le capitalisme, le communisme, le nationalisme, le professionnalisme, le sexisme, la consommation, la maladie mentale, la démocratie ou les technologies de communication seraient largement ou fondamentalement des conneries ne se vendra pas et ne pourra donc pas être produite. La critique sociale authentiquement radicale, qui se concentre sur la mise à nu des racines des maux sociaux, est un tabou pour tous les éditeurs, producteurs et critiques (« trop incendiaire, trop controversé, trop courroucé » ou peut-être « banal »), comme l’est toute œuvre qui traverse les genres (« assis entre deux chaises »), comme l’est toute chanson, tout roman, film ou œuvre d’art qui exprime la nature de la vie humaine, par opposition à son apparence et à ses priorités dans le système (« J’aime bien, mais je crains de ne pas pouvoir le vendre »), comme toute œuvre qui suggère de manière significative qu’il pourrait y avoir une réalité naturelle, sociale ou existentielle au-delà du moi (« Je ne l’ai pas compris »).
Dans la fiction du système, rien ne ressemble à une réalité sociale reconnaissable. Lorsque celle-ci apparaît, elle a l’étrangeté d’un monde extraterrestre ; en fait, les mondes extraterrestres semblent généralement plus familiers aux lecteurs et aux spectateurs. Dans l’art du système, l’homme ne vit pratiquement pas dans un monde social. Ni dans un monde naturel. On autorise l’imitation pesante de la nature, tout comme les épanchements écœurants des collapsologues verts et néo-verts, mais la majesté naturelle ou l’harmonie dans la forme artistique sont aussi rares dans la littérature que la nature sauvage l’est dans la société et elles sont accueillies avec la même incompréhension.
Les priorités du marché et l’intense conservatisme de l’industrie culturelle exigent également que la préférence soit automatiquement accordée aux producteurs de culture (auteurs, artistes, musiciens, etc.) garantissant à l’avance un marché important par leur célébrité ou leur imitation d’autres produits culturels à succès. Avec le temps, les Grands Noms dominent les médias de masse de la même manière que les grandes entreprises dominent le marché de masse, quelle que soit la médiocrité ou la vacuité de leur production.
La destruction de la société dont elle est naturellement issue constitue une autre pression sur le scenius culturel. L’augmentation massive du prix des terrains[3] fait grimper le coût de la vie, ce qui rend hors de prix le temps libre nécessaire à la création d’œuvres d’art. De même que l’embourgeoisement provoque l’inflation des loyers dans le monde physique, l’« embourgeoisement des arts » exclut les personnes les plus pauvres et les classes populaires, qui n’ont ni le temps ni les relations pour accéder à l’audiovisuel public ou aux moyens de production artistique[4], sans parler de la compréhension de leur propre tradition culturelle ou de la réalité que ses plus grands contributeurs se sont efforcés d’exprimer.
C’est pourquoi l’internet sur la plage, les pianos à l’école, les graffitis de William Morris, Ozu à la télévision, la septième de Beethoven sur le train Londres-Brighton ou toute autre forme de « démocratisation » des arts sont quasiment inutiles. Les consommateurs de divertissement sont couchés devant les « industries créatives » néolibérales qui ont complètement colonisé la vie culturelle, remplaçant le sens par la nouveauté, l’« innovation » technologique, la « diversité » et d’autres instruments idéologiques favorables au marché, qui sont ensuite considérés comme la culture, tout le reste étant négligé comme « bizarre », « ennuyeux », « insultant » ou « désespérément dépassé ». En outre, de tels consommateurs sont harcelés, stressés, solitaires, travaillant toute la journée à des tâches insignifiantes pour l’enrichissement d’autrui, vivant dans des logements laids appartenant à d’autres personnes ou déboussolés par une vie entière de surstimulation émotionnelle, d’hyperabstraction, de privation sensorielle, d’aliénation et de publicité. Dans de telles circonstances, la vérité éternelle et la beauté apocalyptique du grand art et de la nature sauvage, leur harmonie, leur subtilité et leur puissance révolutionnaires, ont été dévoyées ou ne peuvent être perçues. Les organes pour y parvenir se sont atrophiés ; et même lorsqu’on saisit le problème ou qu’on entrevoit la solution, l’énergie nécessaire pour y remédier, et encore plus pour créer soi-même des œuvres de beauté impérissables, est absente. La plupart des gens ne savent pas quoi faire de leur temps libre et lorsqu’il advient, ils ne ressentent qu’un besoin anxieux de consommer du divertissement ou, au mieux, de la familiarité.
À propos de familiarité, il convient de souligner la ruine culturelle résultant de l’« orientation vers les pairs ». Comme le mentionne le mythe 17, la culture ne se transmet « verticalement » des adultes aux enfants, mais se propage « horizontalement ». Bien sûr, il peut être très positif pour les enfants de rejeter les valeurs de leurs aînés, mais la rupture complète des jeunes avec les adultes, le rejet complet de la tradition — s’habiller, penser, parler et agir comme les autres enfants — est une catastrophe sociale. Les jeunes ne cherchent plus à s’exprimer à travers le scenius longuement élaboré de leurs cultures, mais à travers les goûts et les préférences générés par les bandes. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces derniers sont stériles et dégradés. Il suffit de jeter un coup d’œil aux icônes culturelles de la jeunesse — fournies avec entrain par le pouvoir économique — pour se faire une idée de l’ampleur de notre chute en quarante ans seulement. Et cela ne fera qu’empirer.
Le dernier moyen, et le plus catastrophique, par lequel le scenius est dégradé et banni, est la restriction du jeu. Les enfants n’ont aucune possibilité de jouer en dehors d’environnements institutionnels ou virtuels artificiels, médiatisés et minutieusement gérés. Et les adultes non plus. Les fous rires, le langage « inconvenant », la satire et le jeu non censuré sont interdits sur tous les lieux de travail, et remplacés par des « journées de loisir », des « espaces de travail informels », des « exercices de socialisation », des « bons camarades » et autres mesures de soutien moral compatibles avec le marché. Le jeu en dehors du travail se résume généralement à l’ivresse, à la compétition ou à la consommation passive de divertissement. La création coopérative libre, la joie non contrôlée et le rituel psychologiquement libérateur — fondements vivants du génie collectif — sont désormais si éloignés de l’expérience de la plupart des gens qu’il n’est pas nécessaire qu’une autorité centralisée réprime la fête ; la maladresse générale, l’apathie, la confusion et le dégoût crispé du censeur interne sont une police bien plus efficace. Nous n’avons pas besoin que les autorités dirigent notre comportement lorsque nous disposons d’une voix intérieure qui nous dit que passer son temps libre à autre chose qu’à améliorer son employabilité est frivole, que jouer avec les enfants des autres s’assimile à la pédophilie, que passer un week-end à faire du théâtre improvisé dans la forêt n’est « pas mon truc » ou que faire des bêtises vous démasquera. De telles instructions coupent la subversion à la racine, et avec elle la culture subversivement originale.
Le résultat de toutes ces pressions est que presque aucune ration de véritable culture vivante[5] n’est désormais servie à ceux qui en ont le plus besoin, les classes pauvres, qui sont submergées par de la bouillie produite en masse qu’elles tendent à reproduire dans leur production artistique superficielle et de mauvaise qualité à la place de leur propre expérience directe de la réalité ; une pornographie omniprésente qui tue l’âme d’un grand nombre de jeunes hommes qui, autrement, auraient sainement branlé leur guitare.
Lorsque les gens ordinaires ne traînent plus ensemble, en foule et désœuvrés, lorsqu’ils n’ont plus accès à des ressources créatives, que les prix les chassent de leurs propres quartiers et lorsqu’ils sont aussi éloignés de la nature sauvage et d’une vie digne et naturelle en son sein qu’il est possible de l’être, un cycle de dégradation culturelle s’installe, dans lequel seuls les peintres, producteurs, réalisateurs, musiciens et écrivains les plus médiocres (bien que techniquement compétents) peuvent se permettre de produire de l’art et d’avoir une influence sur la culture ; qu’ils utilisent inévitablement pour étendre la portée d’œuvres de deuxième, troisième et quatrième ordre, ce qui, à son tour, conditionne les artistes devenus incapables de créer de la beauté, en leur faisant croire que le mot « génie » désigne la coiffure, la fabrication de téléphones, les recettes de hamburgers, la conception graphique, les séquences de combat saturées d’effets numériques, du porno de luxe, des personnages littéraires qui ressemblent à des diplômés de la classe moyenne, des remakes, de la bouillie auditive hyper fade, de l’art moderne morne, excitant ou « ironique », des artistes modernes qui ressemblent à des cadres supérieurs, des enfants riches à la voix grave qui peuvent faire des imitations en se prenant pour des acteurs et des océans et des océans de médiocrité pornoïde.
Nous vivons dans un tel désert culturel depuis les années 1990 (bien que le coup de grâce ait été donné au début des années 1980). Depuis lors, la joie a cédé la place à la simple excitation, la surréalité à la simple imprévisibilité, la vivacité à la simple intensité et le superbe fou rire de la comédie ouvrière au ricanement sans esprit de la « comédie »[6] bourgeoise. La différence ne peut plus être détectée parce que les artistes n’ont plus accès à une réalité qui les oblige à la discerner. Ceux qui veulent créer l’art dont nous avons besoin sont isolés de l’harmonie de la nature vécue et de la culture authentique, et ne peuvent plus en détecter la présence. La laideur culturelle et l’indigence esthétique colonisent la terre et finissent par paraître normales, jusqu’à ce que la construction d’une grande œuvre d’art devienne aussi difficile et improbable que celle d’une cathédrale, tandis que ceux qui regardent avec nostalgie les cathédrales que nous avons construites autrefois semblent désespérément dépassés.
Ainsi, le contrôle de la production culturelle et le contrôle de la multitude d’où elle doit provenir vont main dans la main. La liberté qu’ont les gens ordinaires de produire des œuvres d’art ou de culture originales est intolérable pour le pouvoir, qui doit convertir leurs vies en marchandises, puis contrer les effets de la misère qui en résulte par un vaste spectacle pacificateur de divertissement et de normalité autoritaire, liant la population au statu quo en promouvant ou en reproduisant les idées et modes de vie qui le servent et servent l’ego qui le nourrit.[7]
Cet ego lié au temps (ou à la mode) a toujours été hostile au grand art ou à toute forme de progrès significatif de la connaissance humaine, c’est-à-dire à la production du génie, à l’intelligence intemporelle et naturelle de la vie que les grands personnages s’efforcent d’accueillir en faisant le vide en eux. L’ego, qui se nourrit des modes intellectuelles, morales et esthétiques du groupe contre lequel il se blottit pour se réchauffer, est terrifié par tout ce qui désigne une réalité au-delà de ce qu’il connaît et de ce qu’il croit connaître. L’inconnu — c’est-à-dire l’originalité — accueille toujours l’ego comme un connu incompatible, c’est-à-dire comme une sorte de violence, de menace, d’offense, ou une autre sorte de démon (voir mythe 25). À cet égard, il est instructif de lire les vies de Jésus de Nazareth, William Shakespeare[8], JS Bach, Ludvig Van Beethoven, Wolfgang Mozart, Vincent Van Gogh, William Blake, William Turner, DH Lawrence et Friedrich Nietzsche. Lawrence et Friedrich Nietzsche ; tous ont été rejetés par leur entourage, ont été à la mode et démodés, ont eu des problèmes d’argent, et toutes leurs œuvres sont aujourd’hui entre les mains de conservateurs, de commissaires-priseurs et de gardiens de la culture ; les gens de la poussière qui hantent les récitals de musique classique et les rétrospectives de beaux-arts.[9]
L’ego fera tout ce qui est en son pouvoir pour se protéger de la réalité que représente le génie, si cette réalité a la possibilité de s’approcher de la conscience. La soif inextinguible de l’ego pour les reflets de ses propres croyances, désirs et peurs suffit à l’éloigner du génie et l’entraîner dans les montagnes de radotages sans signification (ou d’ineptes donuts) qu’il consomme pour se rassurer. Cette réassurance, elle l’appelle « plaisir », « divertissement » ou, si l’objet est celui d’un artiste assurément mort et soumis au système, « appréciation ». L’engagement sérieux avec le génie vivant et les profondes expression de la vie intérieure de l’individu (par opposition au type de masse ou de minorité) ennuie, offense, agace et horrifie l’ego, qui fait tout ce qui est en son pouvoir pour veiller à ce qu’il ne se mette pas en travers de son chemin.
C’est l’essence de la vie culturelle dans un système capitaliste tardif ou huxleyen, qui ne professe pas d’idéologies ni n’impose de propagande explicite à un public captif, mais promeut automatiquement des gens soumis, appartenant au système dans des positions de pouvoir culturel, en leur fournissant une plateforme pour dupliquer sans fin — « librement » — des comportements stéréotypés, des rôles sociaux établis et des excréments rassurants et respectueux de l’ego. L’enseignant, le vendeur ou le travailleur d’usine malheureux, stressé, ambitieux, insensible et psychologiquement emprisonné, quitte son travail pour consommer des divertissements dans lesquels un monde d’enseignants, de vendeurs et de travailleurs d’usine malheureux, stressés, ambitieux, insensibles et psychologiquement emprisonnés est normal ou reçoit une saveur de paradis. Même les dessins animés se déroulant dans l’au-delà, les épopées fantastiques se déroulant dans des réalités alternatives et la science-fiction dystopique de l’an 3500 doivent exalter la spécialisation intense, le commerce aliénant, la technophilie infantile, la bureaucratie insignifiante ou coercitive, les hiérarchies rigides, le scientisme, le relativisme, l’obsession de soi, l’émotivité crispée, le littéralisme spécieux, le désir agité, l’hyperrationalisme, la pensée de groupe rassurante et la négation de la vie. Vous pouvez, et même vous devez, résister à vos ennemis à l’intérieur du monde donné (même, et idéalement, « L’Homme »[10]), mais il n’y a pas d’espace pour concevoir une résistance au monde lui-même, à sa structure profonde. Vous pouvez même être vaguement conscient que tout cela est de la merde ; mais le message est que l’ego et son système ne peuvent être changés. Il est éternel et omniprésent. Il est moi et je suis lui ; les rebelles ne le remettent pas en question et même les hot-dogs parlants s’y soumettent sans réfléchir.
Traduit par Guy Morant
33 Myths of the System est un guide radical du système dans sa forme terminale, la plus développée. Le livre démonte les fabrications de toutes les idéologies du système, exposant les fictions sans fondement au cœur du socialisme, du capitalisme, du professionnalisme et de l’anti-culture, que le système nous offre en guise de sens.
Notes
[1] Mot anglais inventé par Brian Eno à partir de scene et de genius, désignant une forme de génie collectif liée à l’environnement humain plutôt qu’aux gènes.
[2] Y compris, via la publicité, la propriété des médias et le parrainage universitaire, l’environnement intellectuel et émotionnel.
[3] En raison de la spéculation immobilière qui prend le pas sur les investissements productifs.
[4] Qui sont de plus en plus dominés non seulement par des artistes fortunés, mais aussi par des couches successives de bureaucrates artistiques — producteurs, conservateurs, responsables de la conception, « consultants créatifs » et Dieu sait quoi encore — qui étouffent encore davantage la production créative réelle.
[5] Par opposition à celle imposée et acquise, comme celle des peuples les plus cultivés, les anciens Romains et les nazis modernes. Cultiver la culture d’en haut est un signe certain que ses racines vivantes sont mortes.
[6] Regardez les comédies contemporaines sur la BBC, ou les « blagues » que les journalistes partagent sur Twitter.
[7] « L’une des contradictions de la bourgeoisie, dans sa phase de liquidation, se trouve être ainsi de respecter le principe de la création intellectuelle et artistique, de s’opposer d’emblée à ces créations, puis d’en faire usage. C’est qu’il lui faut maintenir dans une minorité le sens de la critique et de la recherche, mais sous condition d’orienter cette activité vers des disciplines utilitaires strictement fragmentées, et d’écarter la critique et la recherche d’ensemble. Dans le domaine de la culture, la bourgeoisie s’efforce de détourner le goût du nouveau, dangereux pour elle à notre époque, vers certaines formes dégradées de nouveauté, inoffensives et confuses. » Guy Debord
[8] Shakespeare était-il largement accepté par son époque ? Étant donné que vous ne pouvez rien lire sur sa vie — c’est-à-dire que nous disposons de si peu d’éléments sur sa vie, y compris un portrait fiable — cela semble peu probable. Nous savons également qu’il a été rapidement jeté aux oubliettes, restant dans l’obscurité pendant une centaine d’années, tandis que des dramaturges de second ordre avaient leur heure de gloire. Voir L’art de la littérature d’Arthur Schopenhauer — lui-même l’une des grandes voix ignorées de l’histoire — pour un compte rendu superbe, et hilarant, de la façon dont le génie est systématiquement ignoré. Présenter la vérité artistique, c’est, pour Schopenhauer, comme présenter un étonnant feu d’artifice à des personnes qui ne sont pas seulement aveugles, mais qui sont aussi des artificiers.
[9] « L’intérieur du temple (de la renommée) n’est habité que par les morts qui n’y étaient pas de leur vivant, et par quelques vivants dont la plupart seront jetés dehors après leur mort. » Ainsi, D’Alembert, qui aurait pu aussi ajouter que les Gardiens de la Culture qui gèrent le temple sont aussi aveugles que les artificiers de Schopenhauer. Si Jean-Sébastien Bach se présentait aux Proms, il se sentirait un peu comme Jésus de Nazareth écoutant un évêque anglican lire le sermon sur la montagne dans la cathédrale de Winchester. Il est vrai que les grands artistes ont probablement ressenti du désespoir face à la majorité de leur public, mais au moins, il s’agissait d’êtres humains ordinaires, plutôt que de collectionneurs de timbres exsangues et de comptables qui apprécient le grand art à leurs heures perdues.
[10] Étonnamment, le système fonctionne mieux si le méchant mythique est l’entreprise, le chef d’entreprise insipide ou l’altérité monolithique du monde moderne. Il est superficiellement exact, et donc superficiellement rassurant, de voir ses angoisses projetées sur l’écran de cinéma – de voir la technobête nous submerger, ou le jeune marginal écrasé par le travail – mais tout cela se passe dans le domaine du connu. La structure de la société humaine telle que nous la connaissons, les formes modernes de pensée, de sentiment et de communication, tout cela est accepté, incontesté. Sauf, bien sûr, dans l’art le plus élevé et le plus rare.